AMARITON, Jean (ca. 1525-1590)

Notice de Michel Magnien

Jean Amariton, est natif de la petite bourgade de Nonette, une ville de Limagne, en Auvergne (dans l’actuel Puy de Dôme). Il fait partie de cette « infinité de graves & doctes personnages » issus de « cette nation d’Auvergne », salués par La Croix du Maine dans sa notice consacrée à Jean de La Guesle « la plupart desquels sont venus faire leur demeure en ceste tant renommée & partout célébrée ville de Paris lesquels ont obtenu des états et offices les plus honorables au Parlement d’icelle, & l’ont tellement illustrée » (éd. Rigoley de Juvigny, t. I, p.516-7). Comme Jean de La Guesle, ou encore Antoine Duprat, Antoine Du Bourg, Pierre Lizet, ou bien entendu Michel de L’Hospital, sans oublier Jean Bardon, procureur du Roi, dédicataire du commentaire d’Horace, qui ont tous, à titre divers, fréquenté un temps le Palais, Amariton fera sa carrière comme avocat au Parlement de Paris.

Même s’il est difficile de confirmer ou d’infirmer les dires d’Antoine Loisel, son ancien disciple (qui publie d’ailleurs deux distiques louangeurs à l’adresse de son maître au bout de ce commentaire horatien), selon qui « Jean Amariton Père, comme j’ay appris de M. Voile, Prieur de saint Clair, Licencié en Theologie, son petit-fils, estoit d’une ancienne famille de Nonette en Limagne d’Auvergne, sortie d’un Pierre Amariton qui fut Chancelier du duc de Berry & d’Auvergne, frere du Roy Charles V », sa famille (au sens large) est honorablement connue et active à Nonette au XVIe siècle : on y compte, selon P. Fr. Fournier « un barbier, un cordonnier, des marchands et un praticien ». Les différentes biographies ou généalogies consultables au Cabinets des ms. de la BnF proposent des noms pour les parents et même une date de naissance pour notre Jean (1525), mais rien ne se recoupe ni ne semble avéré selon le même Fournier. On ne sait rien non plus de sa formation initiale.

Toutefois, mais à une date qu’il est difficile de préciser, on le retrouve collégien à Paris, pensionnaire au sein du bastion ramiste qu’est pour lors le Collège de Presles. Les liminaires de son commentaire permettent en effet de connaître certains des maîtres dont il a suivi l’enseignement à Paris ; Amariton y a en effet placé ces quatre distiques, où le grand Ramus se voit apostrophé :

Ad doctores suos. // Ioannis Amaritonis Octastichon

Grenetus Latiae posuit fundamina linguae

Eius me docuit lingua diserta loqui.

Dicendi leges didici dicente Talaeo :

Et logica per te cognita, Rame, via est.

Adiecit sophiae Philaretus dogmata sanctae,

Naturae mores hoc reserante patent.

De tantis sequitur mea si quid pagina, vestrum est.

Quisquis suae, si sit, vendicet artis opus.

Au sein des mêmes liminaires, le début de la préface nous apprend qu’en 1550 il a déjà achevé son cycle de philosophie, et que, comme le fera Nancel en 1553, il prend alors une charge d’enseignement au sein du collège qui l’a formé. Or comme dans le premier distique de la pièce à ses maîtres, il évoque son apprentissage de la grammaire latine sous la férule de ce Grenet, qu’on identifie mal, on peut penser qu’Amariton est arrivé à peine adolescent à Presles et qu’il y a suivi l’ensemble de son cursus.

C’est donc en 1551/52, qu’en charge du cours de philosophie morale, il prend la décision, dans le cadre de la conjonction de l’éloquence et de la philosophie alors programmée par Ramus, de faire étudier les Epîtres d’Horace, au sein de son cours d’éthique, cours qui se trouve à l’origine de son commentaire de la seule première épître d’Horace, qui est en fait le premier commentaire poétique ramiste jamais publié (en juillet 1553).

Mais cette expérience de l’enseignement fut sans doute de courte durée, puisque Amariton, tout comme un peu plus tôt son ancien condisciple Estienne Pasquier, ne tarde point à quitter le collège de Presles pour aller entreprendre des études juridiques à Toulouse. Là il gagne les bonnes grâces d’un autre humaniste d’importance, Cujas, qui l’autorise même à publier des notes de sa main qu’Amariton avait découvertes dans les marges d’un exemplaire d’Ulpien que Cujas lui avait prêté. Amariton se trouve être ainsi à l’origine de, ou au moins mêlé à – car tout cela sent la mise en scène et semble une version édulcorée du topos du manuscrit volé qui emplit tant de liminaires de l’époque –, la première publication jamais accomplie par le grand juriste : Tituli XXVIIII ex corpore Ulpiani. In eosdem titulos Notae, Toulouse, G. Boudeville pour P. Du Puy, nov. 1554, in-16 de 4 ff. prelim, n. ch., 158 pp. et 1 f. n. ch. (trois ex. connus seulement d’après l’USTC : Toulouse, Res. D. xvi. 198, Troyes, Jurisp. 226 et Bayerische, J.rom. f. 151 [6264238 ; ex. accessible en ligne]).

On ignore là encore s’il quitta Toulouse peu de temps après cette publication ou s’il y a enseigné le droit comme le prétend Loisel. Une chose est sure, c’est qu’à une date difficile là encore à déterminer, il revint à Paris, où il se fixa définitivement et devint avocat, à tout le moins avant le 10 juin 1562, jour où il prononce sa profession de foi catholique devant le Président, comme le voulait l’arrêt du 6 juin 1562. A une date là encore inconnue, il épouse Marie Mesmin, fille de Pierre Mesmin, procureur du Parlement de Paris, confirmant par là son inscription définitive dans le monde des robins parisiens. Il en eut au moins deux fils, Jean II & Antoine, devenus eux aussi avocats, et plusieurs filles (dont une seule est identifiée : Suzanne, mère de ce M. Voile qui donna des documents sur la famille Amariton qu’exploitera Loisel dans son Dialogue des avocats). Selon le même Loisel, il n’aurait pas été un orateur hors pair, mais devait plutôt sa réputation à ses consultations. Grâce au témoignage qu’il a laissé dans son ouvrage de controverse avec Possevin, nous savons qu’Amariton héberge en 1565 un jeune polonais, Johannes Lasciki, venu suivre à Paris les cours de Ramus. Comme son condisciple Bodin, Amariton semble croire à l’existence des sorciers, puisqu’au sortir d’un des procès de sorcellerie auquel ils avaient tous deux assisté, il aurait déclaré à son hôte qu’il existait alors plus de seize mille sorciers en France, capables des pires maléfices. En 1571, au moment de la levée du don de 300 000 livres consenti par les Parisiens, il est l’un des habitants les plus taxés de la rue Saint-Jean de Beauvais où il a élu domicile.

C’est enfin encore une fois Loisel qui nous informe des derniers mois de son existence. Après l’assassinat du duc de Guise, il est en effet emprisonné par la Ligue, du 31 juillet au 5 août 1589, et il meurt à en croire Loisel à la levée du second siège de Paris, loin de ses fils qui avaient suivi le Parlement à Tours. Ses biens et sa bibliothèque sont alors pillés par les Ligueurs. Or comme tant de ses confrères juristes, Amariton semble avoir amassé une fort riche collection, en particulier des manuscrits rares, dont quatre, l’un remontant au IXe siècle, sont recensés par P. Fr. Fournier dans son article. On sait par exemple qu’Elie Vinet a sollicité son aide afin qu’il identifie des toponymes auvergnats, alors qu’il travaillait à son édition de Sidoine Apollinaire et lui a également emprunté un manuscrit du Carmen de Ponderibus.

Texte

Ioannis Amaritonis Nonetani Commentariorum in epistolas Q. Horatii Flacci, Liber primus. Ad Amplissimum Joannem Bardum in magno Consilio procuratorem Regium. Invia virtuti nulli est via [Ovide, Met., XIV, 114], Paris, Benoît Prevost pour Guillaume Julien, 1553, in-8° de 44 ff., consultable sur Gallica : NUMM-6215544.

Littérature critique

Henryk Barycz, & Ambroise Jobert, « Humanisme et fanatisme à Paris (1541-1572), d'après quelques polonais », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, t. 29,1, janv.-mars 1982, p. 105

P.-Fr. Fournier, « Jean Amariton de Nonette, professeur au collège de Presles, avocat au Parlement de Paris, mort en 1590 ; sa vie, ses ouvrages, sa famille », Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Clermont-Ferrand, t. XXXII-II (Mélanges ; t. XCII de la coll. des Annales & Mémoires), 1929-1932, p. 69-98 (il en existe un tiré-à-part, Clermont-Ferrand, Impr. Générale, 1933). On pourra également consulter sa longue notice au sein du DBF (t. II, Paris, Letouzey-Ané, 1936, col. 426-7).

P. Fr. Fournier, « La première édition des notes de Cujas sur Ulpien », Nouvelle revue historique de droit français & étranger, 1919, t. XLIII, p. 663-5.

P. F. Girard, « La jeunesse de Cujas. Notes sur sa famille, ses études et son premier enseignement (Toulouse, 1522-1554) », Nouvelle Revue Historique de droit français et étranger, 40e an., t. XXXIX, 4, oct. -déc. 1916, p. 606-623.

Raymond Lebègue, « Horace en France pendant la Renaissance », BHR, III, 1936, p. 141-166, 289-308 & 384-419. Le commentaire d’Amariton y est évoqué p. 290-1, 385 & 406, sa préface partiellement transcrite en appendice p. 419.

Floris B. Verhaart, « Horace and Ramist Dialectics : P. Gaultier-Chabot (1516-1598 ?) Commentaries », in K. A. E. Enenkel éd., Transformations of the Classics via Early Modern Commentaries, Leyde, Brill, 2014, p. 15-46 [v. p. 17-22]